Après l’arrivée, puis l’installation définitive de l’islam, l’espace somali se trouve profondément modifié. Les paragraphes précédents décrivent une période pré-coloniale lors de laquelle les relations avec les pays européens étaient la plupart du temps d’ordre marchand, avec parfois de petites guerres pour le contrôle des ports et des routes maritimes. L’installation d’une garnison britannique en 1839 à Aden va enclencher une somme de modifications qui vont faire naître cette question : Somalie ?
Sultanats & colonisateurs
Les ports de Berbera et Zeila sont les points de sortie des routes commerciales qui viennent du royaume de Choa, dans l’actuelle Éthiopie. Intéressés par cette région, les Français tentent en 1709 de mouiller dans le port de Berbera, mais ils sont attaqués et se réfugient plus au nord, sous gouvernance ottomane du sultanat de Tadjourah, dans l’actuel Djibouti. Une demande de protection du sultan local sert de justification à l’installation durable des Français. Les Britanniques passent en 1827 un accord commercial avec deux lignages Isaaq Habar Awal, maîtres des ports de Berbera et sa région, afin qu’ils cessent leurs attaques contre les survivants de naufrages sur les côtes. L’autorité ottomane ne s’exerce pas en dehors de la région de Zeila.
En 1838, le sultanat de Lahej, situé dans le sud de la péninsule arabique, cède aux autorités britanniques la région autour de la petite localité d’Aden. Ils y installent en 1839 une garnison afin de protéger le commerce et faire de ce lieu un port important. Ce qu’il deviendra avec l’ouverture du canal de Suez en 1869. En face, sur la côte somali, les régions de Zeila et Berbera sont alors sous domination indirecte de l’empire ottoman et, d’ouest en est, règnent les sultanats Darod Warsangali, autour de la ville de Laas Qorey, et Darod Majerteen, dont la capitale est Aluula.
Majerteen & Warsangali
Le sultanat Majerteen prend le contrôle des principaux ports de la côte entre 1809 et 1818. Le cap Gadarfui, la pointe à l’extrême nord-est de la Corne, en face de l’île de Soqotra, est une route de passage pour les navires commerciaux britanniques, dont certains s’échouent sur les côtes somali. Le commerce et le pillage d’épaves consolident le pouvoir du sultanat qui, sous l’impulsion d’un nouveau sultan en 1818, prend son essor. Dès leur installation, les Britanniques négocient un accord avec le sultan dans lequel il s’engage, en contrepartie d’un paiement annuel, à porter secours aux marins britanniques échoués sur ses côtes. Pour leur part, les Britanniques promettent d’acheter du bétail pour nourrir Aden. En 1844, environ 15 000 têtes de bétail sont ainsi exportées. En vue d’améliorer le commerce de bétail, en constante augmentation, les Britanniques mettent en place un système de protection et de relais dans les terres, en s’appuyant sur les solidarités claniques et territoriales. Cette forte augmentation du commerce de bétail renforce en quelques décennies le pouvoir et la richesse du lignage Majerteen et accroît ainsi les inégalités économiques et l’appauvrissement des pasteurs.
En 1847, des contacts s’établissent avec le sultanat Warsangali. Dès 1854, des explorateurs militaires s’enfoncent dans les terres des Darod Dulbahante et de quelques clans Isaaq, tous rebelles à l’autorité du sultan. Des expéditions se montent et les premiers contacts ont lieu entre les Britanniques et, entre autres, les clans Dir des Issa et des Gadabursi, et les clans Darod des Geri. Une expédition est mise en place pour explorer plus au sud, vers l’Ogaden, mais des centaines de guerriers somali Habar Awal attaquent le campement et mettent fin à cette tentative. En réponse, les Britanniques imposent un blocus du port de Berbera et contraignent les Habar Awal à signer un accord leur permettant de commercer librement dans la ville et d’y avoir leurs représentants.
Geledi
Au début du XIXe siècle, le sultanat Geledi prospère grâce au commerce des esclaves, exploités dans l’agriculture. Entre 1815 et 1820 s’installe sur le Jubba une communauté pieuse, issue d’une confrérie, prônant un islam strict et réformateur. Alliés à des nomades Ogaden et à des Rahanweyn non-Geledi, ses membres s’opposent au culte des saints, légitiment la séparation des sexes, critiquent les autorités traditionnelles – allant jusqu’à considérer le droit coutumier comme contraire à l’islam – et considèrent impurs les éléphants et donc le commerce d’ivoire. Le sultan n’apprécie pas cette sape de son autorité et de ses moyens financiers. Tentant de convertir les Oromo à l’ouest et de soumettre quelques clans somali, les guerriers de la confrérie, menés par le cheikh Ibrahim Hassan Jeberow, entrent en 1840 en conflit direct contre le sultan. Après trois années de guerre, ils sont écrasés. À la même époque, certains quartiers de Mogadiscio sont attaqués et la ville passe de l’autorité de Zanzibar à celle du sultanat. Entre 1840 et 1870, la traite s’intensifie, au rythme des exportations des produits agricoles et des bénéfices. En 1868, la mort du sultan, lors d’affrontements avec des Dir Biomal et des Tunni, scelle la fin de son sultanat.
Colonisation
Au sud, les villes côtières du Benadir, Mogadiscio, Merca et Brava sont depuis 1804 sous le contrôle du sultanat d’Oman, par l’intermédiaire de ses très remuants vassaux du sultanat de Zanzibar. Profitant de ces rivalités, les Britanniques obtiennent un protectorat éphémère sur le port de Brava et en 1843 une expédition est lancée remontant le Shabele pour atteindre le territoire du sultanat Geledi. Puis les Français, quelques années plus tard, pénètrent aussi dans ce sultanat. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les expéditions françaises, allemandes, britanniques et italiennes vont établir des contacts avec les autorités des différents sultanats. L’Ogaden est la dernière région somali qu’ils atteignent, en 1881.
Bien que toujours vassale de l’empire ottoman, l’Égypte prend son indépendance et mène sa propre politique, sous le regard attentif des Britanniques. En 1867, elle annexe le Darfour, puis se lance dans la conquête de la Corne de l’Afrique. Après l’ouverture du canal de Suez en 1869, les villes de Harar, Zeila et Berbera deviennent encore plus importantes dans la gestion des voies commerciales : elles tombent sous le contrôle égyptien de 1875 à 1884. Les armées éthiopiennes chassent les Égyptiens en 1876 de leurs territoires et tentent de s’étendre plus à l’est. Suite à la conquête de Harar en 1887, elles s’installent dans les régions somali de Hawd et de l’Ogaden, privant ainsi les pasteurs nomades du libre accès aux vastes zones de pâturage.
Soucieux de la sécurité de leurs réseaux commerciaux que les Égyptiens mettent en péril, les Britanniques prennent pied sur les côtes au prétexte d’un accord de protection. Le sultanat Warsangali et les territoires contrôlés par des clans Isaaq et Dir sont regroupés et deviennent le Somaliland britannique en 1884. Les Français étendent leur emprise sur le golfe de Tadjourah entre 1859 à 1885 et signent des accords avec les sultanats de Raheita, d’Obock et de Tadjourah. Pour permettre un meilleur accès aux voies commerciales venant de Harar, le protectorat de la Côte française des Somalis est créé en 1896, regroupant une partie des Dir Issa et des populations afar. L’empire chrétien éthiopien de Ménélik réaffirme son autorité sur l’Ogaden et les plaines de Hawd face aux ambitions italiennes dans la région. En 1889, un établissement commercial italien s’installe dans le Benadir et les premiers accords surviennent avec les sultanats Majerteen et d’Hobyo. Le sultanat d’Oman qui jusqu’ici dominait le commerce entre le Balouchistan (en Iran et Pakistan actuels) et Zanzibar, et dont dépendait le commerce de la côte somali de l’océan Indien, devient protectorat britannique en 1891 et abandonne son autorité sur les villes côtières somali. Malgré quelques expéditions militaires et des coup bas diplomatiques, Français, Britanniques, Égyptiens et Italiens trouvent des accords pour délimiter les frontières de « leurs » territoires respectifs. Entre 1884 et 1905, l’espace somali est séparé en quatre nouvelles entités politiques : la Côte française des Somalis, le Somaliland britannique, la Somalia italienne et l’Ogaden éthiopien.
États coloniaux & résistances
La colonisation française se traduit par une forte présence policière et militaire, dans un minuscule territoire, visant à pacifier les populations et à contraindre les tenants du pouvoir traditionnel. Des lois spécifiques aux colonies sont appliquées. Les voies commerciales sont améliorées par la construction d’une ligne de chemin de fer, longue de près de 800 kilomètres, vers Addis-Abeba en Éthiopie entre 1897 et 1917, et dont le premier tronçon relie Harar. Cette construction suscite quelques affrontements et des attaques de chantiers par des Somali qui y voient la fin de leur monopole sur le transport de marchandises, et son lot de représailles de la part des forces de sécurité et des ouvriers : pillages de troupeaux, saccages des campements, bastonnades ou viols. Ce chantier est important pour l’Éthiopie, cette voie ferrée est un point de sortie vers le port marchand de Djibouti. Le projet est rapidement rentable et permet de transporter plusieurs milliers de tonnes de marchandises par an. La nouvelle ville de Djibouti se construit peu à peu autour des activités portuaires, du commerce et des salines, et attire de la main-d’œuvre venue du Yémen ou du Somaliland. L’arrivée en 1936 des Italiens dans la région de Harar augmente la demande mais les capacités de transport sont au maximum. Une route doublant le réseau ferré est construite pour augmenter le volume de transport, et quelques autres vers le Somaliland.
La colonisation du Somaliland se développe via les postes administratifs et les comptoirs grâce auxquels les marchands peuvent collecter sur place de plus grosses quantités et faire le lien avec les grossistes exportateurs sur la côte. Ils s’appuient pour cela sur les pouvoirs locaux traditionnels à qui ils donnent une fonction dans le système économico-administratif de l’indigénat, ce qui permet l’émergence de notables. Établis près des points d’eau, ces comptoirs deviennent des ancrages pour des populations somali et les premiers villages émergent dans l’arrière-pays au début du XXe siècle. L’apparition de notables, chargés de gérer ces marchés, et la compétition autour des questions d’accès aux pâturages et donc de la taille du cheptel à vendre, exacerbent les rivalités entre les clans et les lignages. L’augmentation de la demande rend fragile l’équilibre économique nécessaire à la survie des pasteurs nomades car ils sont tentés de vendre leurs excédents pour acheter des marchandises ou obtenir de l’argent pour payer les impôts. Sans marge, cela les expose plus en cas d’aléas climatiques par exemple. De quelques milliers de bêtes à la fin du XIXe siècle, les exportations par le port de Berbera vont exploser jusqu’à atteindre plus d’une centaine de milliers, en moyenne annuelle, entre 1920 et 1940. Mais la colonisation ne se fait pas sans déclencher des résistances. En août 1899, une révolte éclate menée par Mohamed Abdille Hassan, issu d’un lignage de Darod Ogaden et appartenant à la confrérie Salihiya. Près de 5000 hommes – des Darod, Ogaden ou Dulbahante, et des Isaaq, Habar Jelo ou Habar Yunis – attaquent le centre de l’autre confrérie, la Qadiriya, près de Berbera et le détruisent. Les Isaaq Habar Awal, parmi lesquels cette confrérie est très présente, occupent la côte de Berbera, en contrôlent le port et sont les bénéficiaires de la présence britannique, ce qui crée des animosités. Mohamed Abdille Hassan et ses « Derviches » prônent un islam rigoriste, condamnent le culte des saints et la consommation de khat. Ils se lancent dans des opérations militaires en Ogaden éthiopienne, pillent des caravanes, harcèlent les armées italiennes ou britanniques et dépouillent les troupeaux de Isaaq. Ils assassinent le fondateur d’une autre confrérie, la Uwaysiya, une branche de la Qadiriya, car pour eux l’ennemi principal est le « mauvais musulman ». Après quatre expéditions militaires conjointes pour venir à bout de la révolte, le Mad Mullah – comme le surnomment péjorativement les Britanniques alors qu’il n’est ni fou ni mollah ! – est contraint de signer un traité de paix en 1905. Une petite zone en pays Dulbahante lui est concédée pour qu’il y établisse une mini-théocratie. Réussissant à se rallier des Dulbahante et d’anciens partisans du sultan Warsangali, il s’installe en 1908 sur le territoire de l’ancien sultanat. Afin d’éviter la confrontation, les Britanniques se retirent et se cantonnent dans les villes portuaires. Les Derviches s’installent durablement, construisent des bâtiments fortifiés et attaquent régulièrement des caravanes. De leur capitale, Taleh, ils dirigent ce nouveau sultanat. Mais la multiplication des attaques incite les Britanniques à intervenir militairement à partir de 1913. Désavoués par les autorités de la Salihiya qui condamnent l’utilisation de la violence et pourchassés jusqu’en Ogaden, les Derviches sont finalement écrasés militairement avec l’aide de l’aviation. Taleh est totalement rasée. Quelques rescapés s’enfuient pour se réfugier auprès de Hawiye Karanle, dans le fin fond de l’Ogaden. Malade, Mohamed Abdille Hassan y meurt fin 1920. Les conséquences de cette révolte et de la répression sont de grandes migrations forcées, vers le sud et les villes, de nomades se trouvant dans les zones de combats. Selon des chiffres, un tiers des habitants Isaaq du Somaliland ont été tués. Les violentes attaques des Derviches contre de multiples clans ont débordé le cadre traditionnel de gestion des conflits parmi les Somali, les possibilités de médiations avaient disparu. Échaudés, les Britanniques instaurent le code de l’indigénat appliqué dans les Indes, renforcent leur présence militaire en créant des forces de police indigènes et font venir des troupes indiennes. Entre 1930 et 1940, de 25 à 33 % du budget de la colonie du Somaliland est destiné à l’entretien des forces de sécurité. Le Somaliland vit sous les auspices d’une pacification militaire et d’une prospérité économique.
À la recherche de nouveaux pâturages, des clans Darod arrivent du nord par vagues successives au niveau du Jubba vers 1840. Ils s’associent d’abord avec des Rahanweyn Eelay puis, avec l’arrivée d’autres clans Darod, les alliés d’hier s’affrontent. Ces clans Darod – Ogaden, Marehan ou Majerteen – traversent le Jubba mais se heurtent à des Oromo entre 1865 et 1869. Finalement, les Ogaden s’installent en 1909 sur la rive du Tana (dans l’actuel Kenya), marquant ainsi la limite maximale de l’expansion somali. Venus du centre, plusieurs clans Hawiye vont, à la même période, migrer dans ces régions et s’y installer. Ces migrations causent de nombreux affrontements. Finalement, en 1925, les Britanniques donnent le Jubbaland aux Italiens et gardent sous leur contrôle une partie des territoires somali habités essentiellement par des Ogaden, des Rahanweyn Garre et quelques clans Hawiye. Ils les incorporent dans leur colonie de l’Afrique orientale britannique sous le nom de District de la Frontière Nord. De nombreux colons s’implantent dans la colonie, entre les actuels Ouganda, Kenya et Tanzanie, pour accroître les espaces agricoles dont les récoltes sont vouées à l’exportation. Zone de pâturages et de plantations pour les Somali, la région n’est accessible que par des laissez-passer jusqu’en 1934. Cette situation appauvrit largement les populations nomades somali et profite aux quelques sédentaires.
Le plateau de l’Ogaden et les plaines du Hawd sont officiellement acquis en 1897, puis confirmés en 1908, par le royaume éthiopien après des années de guerre. Ce qu’il reste des sultanats de Harar et Ajuran s’effondre et cette année là, les Français, les Britanniques et les Éthiopiens délimitent les frontières de leurs nouveaux territoires. L’Éthiopie met à disposition de ses populations de pasteurs et d’agriculteurs de nouveaux espaces, et ouvre des routes commerciales plus sûres entre Harar et Zeila et vers la Côte française des Somalis. Les espaces de nomadisme de plusieurs clans et lignages Isaaq, Darod Majerteen ou Dulbahante, et Dir Issa se trouvent coupés en trois : situation qui mène aux famines de 1911-1912 et de 1928. Comme au Somaliland, certains se reconvertissent dans la culture de produits exportables, par exemple le sorgho ou le khat, dont la consommation s’est largement répandue parmi les Somali du nord au cours du XIXe siècle. Alors que nombre de clans se soumettent au nouveau pouvoir, des lignages Ogaden se lient aux Derviches, y voyant une guerre contre des envahisseurs chrétiens. Mais ils sont défaits en 1920. Malgré les accords signés, les Italiens n’ont de cesse de faire des incursions dans l’Ogaden et s’y affrontent parfois avec l’armée éthiopienne ou des Somali. En 1936 l’armée italienne prend le contrôle total de l’Ogaden, ouvrant ainsi de nouveau l’accès aux pâturages pour les nomades somali de sa propre colonie.
La gestion coloniale italienne est confiée à des sociétés commerciales de Gênes et de Milan. En 1902, la Société Milanaise occupe Bardheere et, trois ans plus tard, les droits sur le Benadir sont acquis auprès du sultan de Zanzibar contre paiement de plusieurs millions de lires. Ne parvenant pas à tirer profit du remplacement des esclaves par de la main-d’œuvre salariée, la Société du Benadir est mise en liquidation et le territoire est directement administré comme une colonie : c’est le début officiel de la Somalia. Dans la métropole, le manque de matières premières et l’émigration des méridionaux sont deux sujets qui animent les débats politiques sur le type de colonisation à envisager. Au début, il n’est pas prévu d’organiser de migrations vers les colonies, mais de développer les activités commerciales, puis d’implanter de grandes plantations de tabac, de coton et autres produits, permettant ainsi à l’Italie de ne plus avoir à en importer. La fin de l’esclavage et la lutte contre ses survivances dont les autorités coloniales se disent, officiellement, investies, n’empêche pas le recours au travail forcé des petits paysans et des agro-pasteurs. Sans fonction administrative prévue dans l’ordre colonial italien, les autorités locales et les chefs de clans ou de famille sont reconvertis dans le rôle de petits chefs. Le colonisateur italien rencontre l’hostilité d’une partie des clans opposés au remplacement des esclaves dont ils sont les propriétaires par des colons dont les bénéfices leur échappent. Comme les Britanniques au Somaliland, les Italiens subissent les attaques de petits groupes de partisans armés de Mohamed Abdille Hassan. Ces combats poussent plusieurs clans à se mettre sous la protection des colonisateurs. La pacification à la mode italienne est effective vers 1917. En 1920, sous l’impulsion du prince Louis de Savoie et des principales banques italiennes, la Société Agricole Italo-Somalienne est créée afin d’installer les infrastructures d’irrigation nécessaires aux exploitations agricoles dans le Shabele. Dans la métropole, l’accentuation de l’exode rural au lendemain de la première guerre mondiale et l’arrivée au pouvoir des fascistes en 1922 accélèrent l’envoi de colons dans la région de Genale, au sud. En 1924, les premières exploitations agricoles coloniales se lancent dans la production de coton, puis en 1931 dans la banane, dont l’État fait un de ses monopoles. Confrontés à un manque de main-d’œuvre, les Italiens instaurent un système de travaux obligatoires pour les autochtones dans les fermes italiennes, deux fois par mois ou par an. La Somalia est de nouveau traversée de révoltes. Les tentatives de désarmement de certains clans et les envies d’indépendance d’anciens sultans de la côte se heurtent aux militaires, qui défendent les concessions sur les ressources minérales, halieutiques et salines que l’Italie exploite depuis 1919. Prétextant quelques accrochages, les militaires italiens prennent le contrôle effectif de toute l’extrémité de la Corne entre 1925 et 1927, malgré les poches de résistance tenues par le sultan Majerteen. Plus au sud, des Ogaden Muhammad Zubeyr et des Dir Biomal résistent encore une année. En 1929, les colonisateurs italiens imposent aux ouvriers agricoles somali de vivre avec leurs familles sur les lieux des plantations et des fermes, dans l’espoir de susciter une auto-suffisance de la colonie. La conquête armée italienne de l’Éthiopie et la promulgation en 1936 de l’empire italien d’Afrique est un nouvel élan à la colonisation. Les fascistes voient dans ces espaces conquis la possibilité de faire rayonner l’Italie fasciste et d’y installer un « nouveau type » de colons, conformément à leurs mythes autour de la ruralité et de la civilisation romaine. Les critères d’installation se font plus serrés, un véritable examen de moralité fasciste est mis en place. Le racisme officiel du fascisme italien ne résiste pas à la réalité et des notes officielles déplorent la multiplication des relations mixtes entre colons et colonisé.e.s qui seraient la cause de la stagnation des colonies ! L’affluence maximale de migrants se situe entre 1936 et 1937 – autour de 200 000 dans toute l’Afrique de l’Est, préférant l’Érythrée à la Somalia. Avec l’armée, arrivent aussi tous les ouvriers chargés de la construction des infrastructures nécessaires à l’implantation des colons et au développement économique, comme les routes, les bâtiments et le chemin de fer : 80 % sont des manœuvres, les autres sont maçons, dockers ou chauffeurs, tous prolétaires urbains ou ouvriers agricoles sans terre. Vivent aussi dans les villes de petits entrepreneurs en transport ou dans le bâtiment, des petits patrons et des ouvriers reconvertis en artisans, des agents de commerce et des intermédiaires, installés avec leurs familles, et dont certains resteront après l’accession à l’indépendance de la République de Somalie en 1960. Faisant face à des problèmes financiers, le pouvoir italien décide de réduire le coût des colonies et rapatrie à partir de 1937 une partie de la main-d’œuvre servant aux travaux publics pour la remplacer par des migrants de la péninsule arabique et des Somali, faisant ainsi baisser les salaires. L’année suivante voit un ralentissement de la colonisation. En 1939, Mogadiscio ne compte plus que 900 Italiens sur une population de plus de 60 000 habitants.
Islam & révoltes
L’importance de la révolte menée entre 1899 et 1920 par Mohamed Abdille Hassan, par sa durée et son ampleur, tend à cacher les autres soulèvements. Du milieu du XIXe à la première moitié du XXe siècle, des cheikhs, issus de différentes confréries, se mettent à la tête de groupes d’hommes armés. Déjà en 1840, le cheikh Ibrahim Hassan Jeberow et ses fidèles s’étaient lancés dans une guerre sainte contre les mauvais croyants et le pouvoir du sultan somali. La présence coloniale et la politique menée par les nouvelles autorités entraînent un discours de double contestation. L’une critique la société somali, une partie de ses traditions et de son organisation, avec une approche religieuse rigoriste. L’autre se focalise sur l’intrusion coloniale qui, selon ce discours, met en danger la société somali. À partir de 1902, et pendant six années, les Biomal se fédèrent autour d’un cheikh et s’attaquent aux troupes italiennes. Ils sont finalement défaits. Les réformes agraires ou les tentatives de désarmement sont souvent des déclencheurs, comme en 1923 à Brava ou l’année suivante dans le Shabele, lorsque deux cheikhs et leurs disciples refusant d’être désarmés partent à l’assaut des « infidèles » et de leurs alliés, les « mauvais croyants » somali. Les soulèvements de 1924 et 1926 se passent eux dans un autre contexte. Plus que d’autres, certaines des confréries installées dans la mésopotamie sont des refuges pour nombre d’esclaves fugitifs ou affranchis. Pour cela elles ont l’estime de ces anciens esclaves mais aussi de ceux qui le sont toujours, mais souffrent aussi d’une méfiance due au racisme envers les non-Somali. Quand les autorités italiennes tentent de restructurer les zones agricoles mésopotamiennes, elles se heurtent à la résistance de groupes d’esclaves soutenus par les cheikhs Fareg en 1924 et Ahmed Nur en 1926. Les soulèvements sont matés dans le sang et les deux cheikhs envoyés en prison où ils meurent quelques années plus tard. À la même époque, dans la péninsule arabique voisine, un autre mouvement – le wahabisme – qui critique les innovations, le culte des saints et les modernisations de l’islam, s’étend sous l’impulsion d’Ibn Saoud, futur roi de l’Arabie saoudite.
Castes & minorités
Entre 1770 et 1896, plus de 300 000 esclaves auraient été vendus sur la côte du Benadir et de Lamu (actuel Kenya). La plupart d’entre eux viennent de l’actuelle Tanzanie, et une partie seulement réussit à s’échapper lors des transports caravaniers. D’origine bantou, ces évadés s’installent en petites communautés autonomes agricoles – les marronnages – au début du XXe siècle, dans les zones humides le long du fleuve Jubba dans lesquelles il est préférable d’opter pour l’agriculture, la chasse ou la cueillette tant la présence de mouches tsé-tsé est un obstacle à l’élevage. Les Somali les désignent parfois sous le terme de Gosha qui signifie « forêt ». À partir de 1845, date de l’interdiction de l’esclavage au nord de Lamu par les Britanniques, les esclaves sont amenés par Zanzibar où les Français s’approvisionnent jusqu’en 1864. Plusieurs milliers d’esclaves en fuite, de déserteurs du travail forcé dans les plantations des Italiens ou de domestiques affranchis dans les villes par les maîtres arabes ou somali rejoignent les marronnages entre 1865 et 1895. Les communautés de marrons du Jubba s’auto-organisent et se regroupent selon les origines « ethniques » supposées, alors que celles du Shabele le sont en fonction du clan des anciens maîtres et se mettent sous la protection des Rahanweyn Jiddu. Le retour dans leurs régions d’origine est une question qui se pose encore à la fin des années 1830, après une tentative avortée de certains d’entre eux. Mais finalement sous l’impulsion du chef de guerre Nassib Bundo, ils imposent leur territoire en 1875 aux Boni à qui ils payaient un tribut, et en 1890 repoussent définitivement les Ogaden qui dévastent régulièrement leurs cultures. Pendant un peu plus de vingt années, le pays gosha s’autonomise de son environnement somali. Nassib Bundo est par la suite arrêté et envoyé dans une prison italienne à Mogadiscio, où il meurt en 1906. Au début du XXe siècle, le somali devient de plus en plus leur langue de communication et les pratiques religieuses antérieures s’effacent derrière une islamisation toujours plus grande. Les premières estimations faites par les Britanniques et les Italiens dénombrent 30 000 Gosha. L’influence grandissante de villes portuaires incitent une partie d’entre eux à migrer pour s’y établir en tant que dockers, ouvriers, artisans, couturiers, domestiques, etc. Le recensement de 1903 indique que les « esclaves urbains » constituent le tiers des 6700 habitants de Mogadiscio, le quart des 3000 de Brava et le septième des 5000 de Merca. Officiellement, l’esclavage est aboli en 1904 mais les Italiens ne libèrent que 4300 d’entre eux entre 1900 et 1914 – préférant les utiliser dans les plantations. Les Gosha ne sont pas les seuls bantou, et tous les groupes se reconnaissant une origine bantou ne sont pas d’anciens esclaves. Certaines populations bantou se disent être les descendantes, et parfois les fondatrices, du mythique (?) royaume swahili de Shungwaya (actuel Kenya), chassées au XVIe siècle par les Oromo et présentes avant l’arrivée des clans somali. Ces communautés bantou sont essentiellement composées de cultivateurs, de pêcheurs, d’artisans ou de chasseurs le long du Jubba et du Shabele, et chaque communauté est sous la protection d’un lignage somali. Quelques-unes sont aussi installées entre les deux fleuves. D’autres encore, appelées Bajun, vivent de la pêche dans les îles et la région côtière de part et d’autre de l’actuelle frontière somalo-kényane, après avoir été repoussées progressivement de l’intérieur des terres par l’avancée des migrations somali entre le XIIIe et le XIXe siècle. Généralement, les termes utilisés pour désigner les communautés bantou sont méprisants et renvoient systématiquement au fait – dégradant – de ne pas être somali et à des attitudes racistes à leur encontre. En 1935, 6,2 % de la population de la Somalia italienne est d’origine bantou.
Les Somali castés sont marginalisés mais, individuellement, certains réussissent à occuper des postes de conseillers stratégiques ou d’administrateurs, comme pendant le sultanat d’Hobyo à la fin du XIXe siècle. Afin de les « émanciper » et de les intégrer collectivement dans une lutte nationaliste lors de la révolte des Derviches, Mohamed Abdille Hassan en nomme à des postes importants et crée un bataillon composé exclusivement d’individus issus de ces groupes, mais les lignages « nobles » n’apprécient guère de combattre à leurs côtés. Depuis l’arrivée des colons et l’accroissement des villes, les Bantou et les groupes castés forment l’essentiel de la main-d’œuvre citadine ; l’accession à de petits métiers tels que mécanicien, charpentier, maçon ou terrassier, par exemple, émancipe financièrement une partie d’entre eux de leurs anciens patrons somali. Selon les estimations des années 40, entre 15 000 et 30 000 esclaves affranchis ou fugitifs ont rejoint des communautés religieuses confrériques.
Racismes
Après s’être remis des attaques et des blessures des guerriers somali lors de leur tentative échouée d’explorer le Harar en 1854, les explorateurs britanniques Richard Burton et John Speke se lancent en 1857 dans une nouvelle expédition. À partir de Zanzibar, ils veulent rejoindre une « mer intérieure » dont font mention les géographes arabes et les esclaves. Ils atteignent ainsi le lac Tanganyika six mois plus tard, puis, partant seul plus au nord, Speke arrive au lac (qu’il nomme) Victoria. Il est persuadé d’avoir enfin découvert la source du Nil. Au-delà des « découvertes » géographiques, l’expédition arrive dans une région où de multiples royaumes, jusqu’alors inconnus d’eux, sont les maîtres de cette Afrique des Grands lacs (actuels Burundi, Rwanda, Ouganda, Congo-Kinshasa et nord de la Tanzanie). La présence de ces riches et puissantes royautés contredit la vision raciste de leurs contemporains qui voient dans ce mode d’organisation sociale une caractéristique des « Blancs ». Pour les sciences humaines de ce milieu du XIXe siècle, la Bible reste encore une source historique importante dans laquelle elles puisent allègrement. L’Ancien Testament fournit des modèles pour l’anthropologie, l’histoire et la linguistique, dans leur projet de classifications des productions humaines. Le mythe de Noé et de ses trois fils fournit une classification « ethnologique » du monde qui répartit l’espèce humaine entre les descendants de Sem, Japhet et Cham. Les premiers représentant les Sémites, les seconds les Blancs et les troisièmes, issus du fils maudit, les Noirs africains. À ce mythe, vient s’ajouter celui de la tour de Babel dont la destruction « divine » serait la cause de la multiplicité des langages humains. Ainsi les linguistes reprennent ces deux schémas et créent des familles de langues qu’ils nomment sémitiques, japhétiques et chamitiques, et déclinent ensuite des classifications reprenant en partie les généalogies de l’Ancien Testament. Selon cette mythologie, Cham a quatre fils, dont Kouch qui sert à nommer la sous-famille couchitique dans laquelle sont classés les parlers somali, et Punt, qui désigne la partie nord-est de la Corne de l’Afrique. Il est difficile de faire coïncider ces classements linguistiques et anthropologiques tant les contradictions dans l’Ancien Testament sont flagrantes et ne résistent pas aux résultats des recherches dans d’autres domaines. Même si nombre de ces mythes sont utiles aux explications racialistes du monde, ils ne suffisent plus à répondre ni aux nouvelles formes de « racisme scientifique » qui pensent les races comme distinctes, ni aux projets d’expansion coloniale. Après une seconde expédition, Speke rentre en Europe et publie un ouvrage dans lequel il donne les raisons qui, selon lui, expliquent la présence de ces royautés africaines. Reprenant un thème qui se développe à cette époque, Cham (ou Ham, dorénavant) ne désignerait plus des Noirs africains, mais des populations métissées lors d’une « vague blanche » en direction de l’Afrique : celle qui aurait amené la royauté jusqu’autour des grands lacs. Ce raisonnement est appliqué pour plusieurs régions d’Afrique afin d’expliquer la présence de populations ou d’organisations sociales ne correspondant pas à l’image que ces explorateurs ont de l’Afrique et de ceux qu’ils désignent comme les Noirs. Ceux-ci ne sont plus une fratrie maudite mais deviennent une race, jugée inférieure. Ce sont ces théories hamitiques qui ont transformé des antagonismes sociaux en fausses oppositions raciales – comme au Rwanda – ou participé à des constructions identitaires dans quelques pays africains – distinction entre Arabes sémites et Berbères hamites, par exemple. Appliquées à l’Europe ces visions vont déboucher sur une théorisation de l’opposition entre les deux autres fils de Noé. Sem et Japhet vont ainsi incarner respectivement les Juifs et les Aryens, s’intégrant dans un système de classification et de hiérarchisation des races et des peuples, selon la terminologie, plaçant les Blancs en haut et les Noirs en bas. Théories qui justifieront la colonisation en Afrique ou le massacre des Juifs. Classés parmi les hamites, les Somali bénéficient d’un statut particulier face aux Bantou et d’un regard bienveillant de la part des autorités coloniales – c’est assez relatif ! Ces dernières justifiant de fait le racisme des Somali envers les Bantou. Les premiers seraient des nomades arabisés, plus belliqueux, plus nobles que les agriculteurs africanisés de la mésopotamie. D’après d’obscurs critères anthropométriques, les spécialistes de l’époque aimaient croire en une « meilleure origine », selon eux, de certaines populations africaines avec qui il était préférable d’être en contact plutôt qu’une autre. Dans la région, avec les Somali, les Amhara d’Éthiopie et les Masaï du Kenya sont les plus connues. Bien évidemment, depuis le XIXe siècle, la linguistique et l’anthropologie se sont démarquées du schéma biblique ou raciste, mais néanmoins elles peinent à inventer d’autres façons de penser la diversité. Que dire d’une classification des parlers somali dans une famille couchitique, si ce n’est que cela a des relents de vieilles recettes périmées.
Les argumentaires racistes et sexistes se recoupent parfois. La Somalie ne fait pas exception. Il suffit de souligner la concordance des raisonnements entre la théorie hamitique et la tradition somali. La première imagine un métissage entre des Blancs – conquérants et masculins – et des Noirs « sauvages », et la seconde valorise une supposée ascendance arabe par les généalogies patrilinéaires des hommes somali. Dans les deux cas, « l’africanité » est considérée comme la part féminine.
Intermède guerrier
La Corne de l’Afrique est le théâtre d’opérations militaires et diplomatiques entre les puissances européennes impliquées dans la Seconde Guerre mondiale. La colonie de la Côte française des Somalis est sous blocus depuis son ralliement aux autorités de Vichy et l’Italie est chassée d’Éthiopie et de la Somalia par les armées britanniques, comme dans ses colonies nord-africaines de Tripolitaine et de Cyrénaïque (deux des trois régions de l’actuelle Libye). Alors que l’empire italien s’effondre, les comptes se règlent entre des clans Majerteen lors d’affrontements. En 1942, l’ensemble des territoires coloniaux italiens sont placés sous protectorat britannique, le Hawd est rattaché directement au Somaliland. Les Britanniques en profitent pour démonter l’ensemble du réseau ferré installé par les Italiens – qui relie Merca, Brava, Mogadiscio et Afgoy – pour en construire un dans leur colonie de l’actuel Kenya ! La colonie française, qui a depuis changé de stratégie et s’est mise du côté des Alliés, réintègre les réseaux commerciaux. La guerre prend fin trois ans plus tard.
Au sortir de la guerre, l’activité commerciale reprend de plus belle. La colonie française devient un port franc en 1949 et la population de la ville de Djibouti ne cesse d’augmenter. Les Britanniques conservent leurs activités et leur autorité sur le Somaliland, et se réservent pendant quelques années des territoires dans le Hawd pour les débouchés ferroviaires vers le port de la colonie française. Puis ils restituent l’Ogaden et enfin le Hawd en 1954 à l’Éthiopie insistante. La Somalia « libérée » est rendue en 1950 par les Nations Unies aux nouvelles autorités italiennes pour une période de dix ans. C’est la paix armée, la marche vers la décolonisation… et l’émergence de cette question : Somalie ?
Wanakucha
Le territoire du Taganyika (actuelle Tanzanie) est le lieu de nombreuses captures de populations bantou au début du XIXe siècle. Elles sont ensuite vendues à des esclavagistes.
À cette époque, des bantou Wazigwa sont capturés puis achetés par des commerçants arabo-somali. Ceux-ci les revendent à des Somali qui les emploient dans les zones agricoles du Benadir et du Jubba. Les esclaves sont généralement cantonnés dans des villages situés sur le lieu même des plantations, où les conditions de travail et de vie sont terribles. Wanakucha est l’une des ces esclaves. Selon les Wazigwa, elle est dotée de pouvoirs mystiques. Dans la première moitié du XIXe siècle, elle a une vision qu’elle interprète comme un signe annonciateur d’une libération prochaine des esclaves et du retour sur leur territoire d’origine, dont le souvenir est encore présent parmi les Wazigwa. Dès lors, les esclavagistes somali interdisent les déplacements entre les villages ou les plantations afin de briser toute possibilité d’organisation collective. Wanakucha met en place un système de communication grâce aux chants, aux danses, aux habits et aux rythmes des percussions pour échafauder un plan collectif d’évasion, sans se déplacer. Vers 1840, sous sa direction, des milliers d’esclaves fuient les plantations et les villages pour se diriger vers le Tanganyika. Après quelques jours de marche le long du Jubba, dans des conditions très difficiles, la prophétesse annonce que le tremblement de terre récent est un signe qui nécessite une nouvelle interprétation de sa vision.
Finalement, les esclaves en fuite s’arrêtent dans les forêts bordant le Jubba, à hauteur de Kismayo. Ils défrichent, construisent des villages et deviennent agriculteurs. Les Wazigwa se mêlent parfois à d’autres communautés bantou déjà existantes. Les villages sont fortifiés pour résister aux attaques des anciens maîtres somali (Dir Biomal, Rahanweyn Jiddu ou Tunni) et servir de refuges pour les fuyards. Wanakucha créée un groupe de jeunes hommes chargé de venir secrètement en aide aux esclaves. Elle organise un véritable réseau anti-esclavagiste. Wanakucha meurt à 70 ans. En 1900, il existe environ 15 villages wazigwa dans les forêts sur les rives du Jubba. Le terme de « gosha » employé par les Somali pour les désigner signifie « forêt ».