Lorsqu’il apparaît dans l’espace médiatique, le terme de somalien n’est généralement qu’un simple qualificatif. L’imaginaire collectif qui s’est construit en France depuis les années 70 autour de la Somalie l’associe aux famines, à la guerre civile et plus récemment au terrorisme, aux pirates et aux migrants. Mais cette association systématique est surtout une réduction qui place chaque Somalien, homme ou femme, en éternelle victime de situations qui le dépassent. Et rien d’autre.
La raison première de mon intérêt pour cette région est l’absence d’État depuis plus de deux décennies, curieux de comprendre les mécanismes de pouvoir qui s’y substituent – et non, ce n’est ni l’anarchie, ni le règne de l’individualisme ! Pour cela, je tends une oreille attentive lorsque la Somalie fait partie de l’actualité et acquiers quelques connaissances sommaires sur l’histoire de la région. Les actes de piraterie au large des côtes somaliennes et les arrestations qui s’en sont suivies m’ont incité à approfondir. Ainsi, j’ai écumé les bibliographies pour finalement trouver à lire une quarantaine de livres et plus d’une centaine d’articles universitaires consacrés à la Somalie, écrits en français entre 1950 et aujourd’hui. Et d’autres encore sur les pays alentour. Malheureusement, mon monolinguisme sévère ne me permet que très peu d’aller puiser dans d’autres sources.
Je n’ai jamais mis les pieds en Somalie, ne connais aucun Somalien, ne parle pas la langue et mes connaissances ne sont qu’une synthèse intellectuelle de mes lectures, une sorte d’abstraction lointaine. Je n’ai aucun lien direct, familial ou sentimental particulier avec ce pays. De par cette situation incongrue, il me semblait pour le moins compliqué et déplacé de pouvoir écrire quoi que ce soit sur le sujet. La rédaction de cet abrégé historique est loin d’être une évidence, et me pose de multiples questions. Les discussions avec quelques proches m’ont amené à repenser cela. Celles et ceux qui, comme moi, sont gênés par ma démarche peuvent commencer par le texte que je consacre à cette problématique à la fin de cet ouvrage et les questionnements qu’elle induit. Intitulé Çomali – selon l’usage colonial français – il est un peu comme une pirouette pour m’extraire temporairement et artificiellement de cette impasse !
Ainsi, cet abrégé n’est rien de plus qu’un condensé de ce qui m’a été accessible sur le sujet, par le prisme déformant des auteurs, universitaires et autres spécialistes. Il résume en quelque sorte ce qu’il nous est donné de voir sur la Somalie lorsqu’on en est aussi éloigné que je le suis. Il se veut être un simple outil permettant quelque peu de mieux situer chaque individu dans le contexte qui est le sien. De mes lectures je n’ai gardé que ce qui me semblait le plus intéressant, en appuyant lorsque cela était possible sur les rapports de pouvoir économique, politique ou social. Je n’ai pas vraiment su échapper au style manuel scolaire ! Les deux premières parties, intitulées Somali et Somalies, sont consacrées aux définitions anthropologiques, économiques, historiques et politiques qui permettent à certains de se désigner comme « étant somali » ou à d’autres de les considérer comme tels. Les parties suivantes sont des tranches chronologiques. Somalie ? correspond à la période coloniale, du début du XIXe siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pan-somali dresse le tableau de la société somali à la veille de l’indépendance de la République de Somalie en 1960. Somalie est l’histoire de cette république dont les structures étatiques s’effondrent en 1991. La période de guerre civile qui s’ensuit est développée dans la partie Ex-Somalie. À partir de la fin des années 90, le territoire somalien se fragmente entre tous les protagonistes de la guerre civile, dans un processus de Somalisation. L’apparition, la prise du pouvoir, puis les tentatives de pacification par différentes milices islamistes, ainsi que l’émergence de micro-États, constituent la partie intitulée Somalistan ? qui s’étale, selon les sujets, jusqu’en 2014. N’étant pas spécialiste – et n’aspirant l’être en rien – cet abrégé n’est pas une « Histoire de la Somalie », il permet tout au mieux d’être plus familier avec un sujet inconnu pour beaucoup. Deux fois rien n’est pas rien…
Avant de commencer la lecture, il est utile d’apporter quelques précisions quant à l’utilisation des termes. Somalien désigne tout habitant de la Somalie, quel que soit son genre, sa langue ou ses origines. Somali est employé pour désigner la langue somali, la catégorie anthropologique « ethnie » ou une organisation sociale qui, toutes, ne se limitent pas aux frontières de la seule Somalie et s’étendent aux pays limitrophes. Ainsi, pour ne citer que deux exemples, on peut être somali et de nationalité éthiopienne, ou être Somalien et d’origine yéménite. L’usage universitaire étant de ne pas accorder ce terme, il est nécessaire de garder en mémoire qu’il désigne aussi chaque Somali quel que soit son genre. Pour tous les noms propres j’ai opté pour une transcription simplifiée afin de faciliter la lecture. Pour la même raison, lorsqu’elles existent déjà, j’ai gardé les formes francisées des noms des principales villes ou lieux géographiques. Plutôt que d’alourdir le texte avec un système de notes de bas de pages, je renvoie celles et ceux qui veulent approfondir à la bibliographie.